Rapport sur la gouvernance 2025: La double obligation...

Rapport sur la gouvernance 2025

La double obligation fiduciaire : mise en garde pour les administrateurs désignés

Auteurs : Jonathan Bilyk et Marc Pontone

Contexte de l’affaire Manti Holdings

Après près de cinq années de litige, la Cour de la chancellerie du Delaware (la « Cour ») a récemment rejeté une action pour manquement à l’obligation fiduciaire intentée contre les administrateurs désignés par un fonds de capital-investissement dans le cadre de la vente d’une société dans laquelle le fonds détenait une participation donnant le contrôle. La décision dans l’affaire Manti Holdings, LLC v The Carlyle Group Inc. rappelle aux conseils d’administration et aux administrateurs désignés canadiens l’importance de repérer et de gérer les conflits d’intérêts (réels ou perçus) qui peuvent découler de la relation qu’entretient un administrateur avec l’actionnaire qui l’a désigné. ADMINISTRATEURS DÉSIGNÉS : OBLIGATIONS FIDUCIAIRES ET LIMITES DE L’ÉCHANGE DE RENSEIGNEMENTS L’article intitulé Administrateurs désignés : obligations fiduciaires et limites de l’échange de renseignements de notre Rapport sur la gouvernance donne des indications générales sur les considérations que les administrateurs désignés, les actionnaires qui les désignent et les sociétés doivent garder à l’esprit au moment de mettre en œuvre une entente de désignation d’administrateur.

L’entité émettrice, Authentix Acquisition Company, Inc. (« Authentix » ou la « société »), exploitait une entreprise de mise au point et de vente de « traceurs » destinés à prévenir la fraude et la contrefaçon. En 2015, le conseil d’administration d’Authentix a décidé de procéder à la vente aux enchères de la société. Peu avant le lancement du processus, le plus important client de la société (comptant pour une part considérable du chiffre d’affaires de celle-ci) a décidé de ne pas renouveler son contrat et a conclu un accord à court terme prévoyant une réduction des prix de 30 %. Le conseil a néanmoins décidé de mener la vente aux enchères afin de déterminer si les acheteurs pouvaient évaluer la société correctement en l’absence de ce renouvellement. Au total, 127 acheteurs potentiels ont été contactés. Les offres qui se sont concrétisées se sont révélées décevantes. Bien que les banquiers de la Société aient fourni une évaluation préliminaire plancher de 200 millions de dollars américains (avant d’apprendre que le contrat clé n’était pas reconduit), la vente aux enchères a généré des offres représentant environ la moitié de ce montant, les soumissionnaires invoquant parmi leurs préoccupations les risques liés à la reconduction des contrats et à la concentration de la clientèle.

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l’expiration (le 30 septembre 2017) de la durée de vie du fonds, fixée à 10 ans. Au moment de la vente, la société représentait le plus important des trois investissements restants du fonds. La Cour a souligné que le contrat de gouvernance du fonds contenait une clause usuelle de flexibilité à l’expiration de la durée, qui permettait au fonds, à son appréciation, de conserver ses investissements au-delà de la date d’expiration ou de prolonger officiellement la durée du fonds avec l’accord d’un comité consultatif (composé des principaux investisseurs du fonds) ou de la majorité des commanditaires du fonds. Dans son témoignage, l’administrateur dissident a affirmé que l’un des représentants du fonds lui avait expliqué pendant le processus de vente qu’il subissait des pressions pour vendre la société « [TRADUCTION] parce qu’il s’agissait de l’un des derniers investissements du fonds et qu’il était temps de monétiser et de clore celui-ci afin que l’argent puisse être restitué aux investisseurs ». La Cour a finalement conclu qu’il n’y avait pas pour le fonds nécessité réelle ou perçue de vendre la société en 2017. Le demandeur n’est pas parvenu à fournir la preuve que les investisseurs du fonds avaient explicitement exercé une pression sur celui-ci pour qu’il liquide ses investissements avant l’échéance de 10 ans et, fait important, après la vente de la société, le comité consultatif a approuvé une prolongation de 2 ans de la durée du fonds. En fin de compte, la Cour a estimé que le fonds cherchait, tout comme les autres investisseurs, à maximiser la valeur et que, dans le cadre de la vente, ses représentants ne se trouvaient pas en situation de conflit créée par une divergence alléguée entre les besoins du fonds et les intérêts des autres actionnaires de la société (critère pertinent en l’espèce aux termes du droit du Delaware). Le conseil a mis dans la balance l’avis de l’administrateur dissident sur les avantages d’un report de la vente aux enchères et les craintes que la dynamique de croissance de la Société ne soit perdue si la vente était reportée. « [ TRADUCTION ]

Au moment où les négociations ne se déroulaient plus qu’avec un seul soumissionnaire, le plus important client de la société a accepté un contrat pluriannuel à des conditions moins avantageuses et un autre client clé a informé la société de son intention de prolonger son contrat. Forte de ces informations, Authentix a finalisé les négociations avec le soumissionnaire restant et a obtenu une offre finale de 87,5 millions de dollars américains assortie d’une clause d’indexation sur les bénéfices futurs de 17,5 millions de dollars américains. Le conseil a approuvé l’opération par quatre voix contre zéro, un administrateur (désigné par un autre investisseur de la société) s’étant abstenu. Pour justifier son abstention, cet administrateur a critiqué le processus de vente, estimant qu’il n’avait pas fait valoir le potentiel d’Authentix à lancer de nouveaux processus amont. Il a également soutenu qu’un report de 12 mois de la vente aux enchères permettrait d’augmenter le prix de vente et a affirmé que l’offre finale sous-évaluait toujours la Société. La clôture de l’opération a eu lieu le 13 septembre 2017. Fin du cycle de vie du fonds : le fonds était-il en situation de conflit d’intérêts? À la suite de la clôture, l’actionnaire qui avait désigné l’administrateur dissident a intenté une action en justice, alléguant notamment que deux des membres du conseil se trouvaient en situation de conflit d’intérêts en lien avec la vente. Les deux administrateurs visés étaient les directeurs généraux d’une importante société de capital investissement qui détenait une participation donnant le contrôle dans Authentix et étaient les représentants du fonds au sein du conseil de la société. Les demandeurs ont allégué que le fonds, par l’intermédiaire de ses représentants, avait forcé la vente prématurée de la société à prix réduit pour se débarrasser de son investissement dans celle-ci avant

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administrateur désigné par un actionnaire ayant envers la société les mêmes obligations que tous les autres membres du conseil. Au Canada, ces obligations comprennent l’obligation fiduciaire d’agir dans l’intérêt supérieur de la société et impliquent que, en toutes circonstances, le candidat doit exercer son jugement indépendant et subordonner les intérêts de l’actionnaire qui l’a désigné à ceux de la société. S’il y avait eu des preuves que les intérêts du fonds divergeaient de ceux des autres actionnaires de la société (par exemple, si le fonds s’était senti obligé de vendre la société en 2017 « [TRADUCTION] peu importe les conséquences (et le prix) »), les administrateurs désignés n’auraient probablement pas bénéficié de la déférence judiciaire à l’égard de leur jugement commercial, et il aurait été prudent de veiller à ce que le processus de vente soit supervisé par des administrateurs indépendants. À cet égard, l’affaire Manti Holdings sert de mise en garde : le conseil doit s’assurer que le processus de vente n’est pas vicié par la participation ou l’influence d’administrateurs se trouvant en situation de conflit d’intérêts, et l’administrateur désigné doit se demander si sa participation à l’opération est opportune compte tenu du conflit d’intérêts (réel ou perçu) qui pourrait découler de son lien avec l’actionnaire qui l’a désigné. Les conflits peuvent se manifester de manière flagrante ou plus subtile, et il incombe au conseil d’administration et à l’administrateur désigné de s’efforcer constamment de les déceler et de les gérer.

Vendre maintenant ou attendre une meilleure occasion? En l’absence d’une opération entachée par un conflit, c’est précisément une question qui relève du jugement commercial », a conclu la Cour 1 . La double obligation fiduciaire au Canada : mise en garde Bien qu’elle ait refusé de conclure que les administrateurs en question se trouvaient en situation de conflit d’intérêts, la Cour a été très claire quant au dilemme auquel est confronté un administrateur qui a des obligations de loyauté envers l’actionnaire qui l’a désigné : [TRADUCTION] En tant qu’administrateurs de [la société] et en tant que directeurs généraux et dirigeants du [fonds], les [administrateurs désignés] avaient des obligations fiduciaires à la fois envers le [fonds] et [la société]. Si les intérêts des bénéficiaires des obligations fiduciaires concordent, il n’y a pas de conflit. Mais si ces intérêts divergent, le débiteur de ces obligations est confronté à un conflit d’intérêts inhérent 2 . Le droit du Delaware et le droit canadien sont harmonisés à cet égard. Le droit canadien n’établit pas de distinction entre les responsabilités d’un administrateur désigné par un actionnaire et celles d’un administrateur désigné par la direction, un

1   Le principal argument du demandeur était que l’opération devait être soumise à la norme de contrôle de l’équité totale ( entire fairness ), un niveau de contrôle judiciaire rigoureux au Delaware selon lequel les administrateurs de la société concernée doivent prouver le caractère équitable tant du prix que du processus de l’opération. Aux termes du droit du Delaware, une opération dans laquelle un actionnaire contrôlant (tel que le fonds, en l’occurrence) bénéficie d’un avantage exclusif (tel que la sortie opportune de la société dans laquelle le fonds a investi, comme le prétendait le demandeur) sera généralement soumise à un contrôle de l’équité totale, à moins que certaines procédures de gouvernance ne soient respectées (telles que l’approbation par les membres indépendants du conseil d’administration et l’approbation par la majorité des actionnaires minoritaires). Comme les représentants n’étaient pas indépendants du fonds, ils auraient eux-mêmes été soumis à la norme de l’équité totale si la Cour avait conclu que les intérêts du fonds divergeaient de ceux de l’entité émettrice et de ses actionnaires : « [TRADUCTION] En l’espèce, [le fonds] est un actionnaire contrôlant, mais il n’est pas confronté à un conflit d’intérêts qui déclenche le contrôle de l’équité totale. À ce titre, les [administrateurs désignés par le fonds] n’étaient pas incités à vendre [la société] à un prix inférieur à sa juste valeur afin d’obtenir un avantage exclusif pour le [fonds], car aucun avantage de ce type n’est démontré dans le dossier. »

2   Voir les motifs de la Cour concernant la requête en irrecevabilité présentée par les défendeurs (citations internes omises).

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